C'est quoi le pitch de votre film ?
Alors c'est l'histoire d'un p'tit juif de 16 ans qui décide de se venger des nazis en rentrant en résistance au lendemain de la rafle du Vel' d'Hiv'.
Le producteur, assis à son bureau massif couvert de statuettes et de récompenses, saisit le manuscrit du scénario et se recule dans son gros fauteuil de cuir.
- Ah ok. Un film d'époque. C'est une histoire vraie ?
- Oui.
- Et ça se finit comment ?
- Il s'en sort, il mène sa vie, il reçoit la Légion d'Honneur et il est aux bras de Macron pour l'entrée de Manouchian au Panthéon.
- Pas mal, mais ça manque de drama.
- Comment ça ?
- Bah ce qui est cool avec les Jean Moulin, ou l'Armée des ombres, ou tous les autres récits, c'est que le type devient un héros parce qu'il meurt. Là c'est trop linéaire. Vous connaissez la structure d'un bon scénario quand même ?
- Oui, oui, je sais, le héros doit se transformer entre le début et la fin, un méchant devient gentil, un gentil devient méchant, et il doit revenir de son épopée avec un apprentissage pour nous tous... Mais bon, là c'est la vraie vie. Les méchants sont très méchants, et parfois les héros ne meurent pas, ce qui les rend plus efficaces d'ailleurs !
- Oui d'accord, mais il a fait quoi votre gamin ?
- Bah il a fait mille petites choses qui auraient pu lui coûter la vie. Il a détourné des convois, volé des armes, trouvé du matériel pour la propagande anti nazi. Il a risqué sa vie, d'ailleurs nombre de ses camarades se sont fait prendre, fusiller ou déporter. Il aurait pu y rester ! Il a failli rejoindre les FTP mais ça s'est joué à quelques heures et tout a été annulé quand ils ont choppé Manouchian et sa bande.
- Ah c'est dommage, pour le film. Et ça vous embête si on modifie un peu le réel pour qu'il meure ? Là ça ferait un vrai film !
- Oui ça m'embête parce que c'est bien qu'il soit en vie, ça montre qu'on peut résister et survivre ; rester humble et inspirer les gens !
- Parce qu'il est humble en plus ?!?
- Oui, très. Il a traversé les décennies avec la culpabilité et la reconnaissance. Culpabilité d'avoir survécu et pas ses camarades ; et reconnaissance de les avoir connus pour un combat plus grand qu'eux.
- Oula, c'est trop intello votre truc.
- Peut-être, mais son livre se vend bien, preuve que ça fait écho au monde d'aujourd'hui. Nous avons besoin de héros simples, des gens comme vous et moi qui se transforment et se révèlent face au danger. Le gars a seize ans, est-ce que c'est de l'insouciance ou du courage ? Cela devrait interroger tout le monde !
- Ok, bon, je vais réfléchir... Il faudrait lui trouver une histoire d'amour alors... Rendre le truc un peu émouvant.
- Je vous assure que c'est émouvant déjà ! Mais si vous voulez une histoire d'amour, il se trouve que celle qui deviendra sa femme a été planquée pendant deux ans dans un grenier de six mètres carrés de la rue St-Maur. Par des Justes.
- Ah oui ? Bah voilà ! Fallait le dire plus tôt ! Là on tient un truc !
- Ok...
- Oui, là ça m'intéresse, ça prend aux tripes et ça fera plaisir à la ménagère.
- Vous savez quoi ? Laissez tomber, je ne le ferai pas avec vous ce film. Il faut être un peu subtile pour comprendre l'immense grandeur d'un destin simple au milieu du chaos. Lisez le livre et vous comprendrez.
Merci pour ce joli texte !
C’est « juste » tellement ça ❤️