Données Facebook. Tant d'amis sont tombés...
Je me demandais cette semaine comment certains de mes amis, que je compte parmi les plus intelligents, avaient pu tomber dans le piège massif des posts Facebook pseudo-juridiques.
Ces messages postés avec force et passion sur leurs pages, indiquant au grand méchant Meta qu'ils n'étaient pas d'accord pour que leurs données soient exploitées et que le fait qu'ils le postent sur leur mur avait valeur de loi. Messages qui, bien entendu, ont autant de pouvoir qu'un vieux slip d'Arnaud Montebourg.
"Mike, Mike, viens voir, on est dans la merde !", dit soudain Debbie, l'une des dix mille Community Managers de Facebook, totalement dédiée à la lecture des messages postés par les utilisateurs de la plateforme, dans le monde entier, un peu comme les nains du Père Noël avec les listes de cadeaux. "Que se passe-t-il Debbie, ne me dis pas que c'est un code rouge !", répond Mike, un vieil habitué du plateau, connu pour avoir résolu de nombreuses crises graves dont celle des magouilles de la campagne présidentielle. "Si, c'est un code rouge. Lis le message que Nicole Michel, qui habite Niort en France, a posté...". Mike s'approche, ajuste ses lunettes, et commence à lire à voix haute... "Coucou, C'est officiel. Signé à 06h39. C'est même passé à la télé... N'oubliez pas que demain commence la nouvelle règle Facebook (alias... nouveau nom, META) où ils peuvent utiliser vos photos... Je n'autorise pas Facebook ni aucune entité associée à Facebook à utiliser mes photos, informations, messages ou publications, passés et futurs... etc, etc, etc, Facebook est désormais une entité publique. Tous les membres doivent publier une note comme celle-ci.".
L'ambiance est soudainement plombée dans l'open space. Mike n'a pas le courage de lire la suite. Une cellule de crise est immédiatement organisée et l'on prévoit une chapelle ardente avec assistance psychologique dans la cantine, à la place de l'espace occupé par le baby foot. "Tu vas en parler à Zuckerberg ?", demande Debbie. Mike hésite, il transpire, il semble faire une attaque mais se reprend. "Je ne sais pas les amis, en effet la situation est grave. Nicole Michel, c'est du lourd. La dame est bibliothécaire à Niort, elle ne plaisante pas avec ses droits, je peux vous le dire. On est mal”. "Qu'est-ce qu'on fait ?", insiste Debbie. "Je pense qu'on doit revoir notre business model, reprend Mike. Il faut réunir les investisseurs et les actionnaires, appeler la Bourse et le New-York Times, procéder à un audit fiscal et demander à notre cabinet d'avocats de Chicago, celui qu'on paie deux mille dollars de l'heure, comment on peut contourner les exigences de Nicole Michel qui a l'air vraiment sûre d'elle avec son message sur son mur. Elle est très claire, elle ne nous autorise pas à utiliser ses photos...".
Le soir tombe sur Palo Alto, on a commandé des pizzas et du thé matcha pour affronter la crise. L'ambiance est lourde d'inquiétude quant à l'avenir du réseau social déjà bien malmené par les lenteurs du Metavers et l'explosion de l'IA. Quelle sale année ! Déjà que c'était compliqué, mais maintenant il y a Nicole Michel.
Soudain, le jeune Terence, un stagiaire qui vient de débarquer de Stanford où il étudie les effets négatifs de la réalité virtuelle sur la sexualité des séniors, prend la parole alors que tout le monde semble avoir le moral à zéro. "Mais les Conditions Générales d'Utilisation ne prévoyaient-elles pas justement que les gens nous laissent l'exploitation de leurs données en échange d’utiliser le service ?", dit-il naïvement. Énorme silence. Les salariés se regardent comme si soudain il s'était passé quelque chose d'important, on sent l'espoir renaître dans les yeux, et Mike sourit enfin. "Mais putain Terence t'es un génie ! On avait complètement oublié les CGU dis donc ! Mais oui mais c'est bien sûr, les gens qui utilisent Facebook peuvent utiliser Facebook justement parce qu'ils ont accepté les CGU, un peu comme tous les services dans le monde ! Haha, on est con ! Han mais le stress qu'on vient de se faire ! Quand je pense que j'ai failli appeler Zuckerberg...!"
Ça trinque, ça chante, ça s'embrasse, le plateau resplendit, quand soudain la porte s'ouvre. C'est Mark Zuckerberg lui-même. Les employés se mettent à genoux et baissent les yeux devant le Zuck. Il marche sans un mot, tenant bien haut le portrait de Nicole Michel imprimé vite fait par son assistante. "Mes amis, n'ayez pas peur !, lance-t-il. La #NicoleMichelGate est passée, une fois de plus. Cela fait plus de dix ans désormais que ce message circule sur notre plateforme, il y a des centaines d'articles qui expliquent que cela ne sert à rien, des émissions par milliers ont dit pourquoi, mais cela ne change rien et c'est ça qui est beau. Les humains sont ainsi faits et c'est grâce à cela que nous prospérerons toujours..."
Les employés sont captivés et reconnaissants que le grand Zuck daigne leur expliquer la vie. Le jeune Terence, décidément dans un grand jour, tente une question. "Mais comment se fait-il que Nicole Michel, qui est pourtant BAC+6 et brillante, soit tombée dans le panneau ?". Mark Zuckerberg apprécie l'audace de ce petit stagiaire dans les yeux duquel il se reconnaît. Il lui tape gentiment la joue avant de répondre : "Partout dans le monde, des internautes postent des messages inutiles sur leurs murs, pensant que des gens les lisent et, pire encore, qu'on en a quelque chose à battre. Ils pensent qu'ils ont le pouvoir, que ce ne sont pas des moutons, qu'ils savent ce qui est juste, légal, possible. Tous les jours depuis dix ans ce message revient, posté par des gens brillants, des intellectuels, des diplômés. Parce que le respect de la vie privée est un droit fondamental et qu'ils ne veulent pas qu'on les vole. C'est normal, c'est humain, mais cela répond surtout à un double besoin. D’abord un besoin personnel de se sentir différent, quelqu'un à qui on ne la fait pas. Et un besoin collectif de se sentir unis et plus forts que le système. Ce double besoin anéantit les défenses intellectuelles, c'est pour ça qu'on a parmi les complotistes ou dans les sectes des gens au QI supérieur. Cela n'a rien à voir avec l'intelligence, c'est purement émotionnel. C'est une quête, presqu’un besoin d'amour qui s'exprime au grand jour. Et donc n'ayez pas peur mes amis ! Tant qu'il y aura un besoin de rébellion, une aspiration au groupal et des intellos pour le cautionner, nous serons là. Et tant qu'il y a aura des CGU, on pourra dire à Nicole Michel d'aller bien se faire cuire le cul". Et tout le monde d’applaudir dans un élan et une puissance dignes des années 2000.
Terence, ému, lance une dernière question : “Mais monsieur Zuckerberg, Nicole Michel dit que nous sommes devenus une entreprise publique ; c’est vrai monsieur Zuckerberg ?”, dit-il, un trémolo dans la voix. Le Zuck éclate de rire de façon sincère et à la fois extrêmement paternaliste. “Publique ? Hahaha, mais oui voyons, nous sommes désormais une entreprise publique ! Nous avons étés nationalisés mais personne ne me l’a dit, hahahaha, et vous êtes devenus des fonctionnaires ! Mais enfin, nous sommes aux Etats-Unis les amis ! Ce n’est pas parce qu’une communiste d’un pays exotique rêve de nous bolchéviquer que nous devons perdre la raison, enfin ! Publique ? Ce sont leurs données qui sont publiques, hahahaha…”
Le Zuck quitte la salle en riant, non sans avoir salué Mike qui rougit de fierté. Debbie peut reprendre son travail et Terence, ce soir, sera fier de sa journée. En France, dans la banlieue de Niort, Nicole Michel envoie à son groupe WhatsApp d'amatrices de tricot un copier-coller de son message pour qu'elles ne se fassent pas avoir, elles non plus.
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PS : voici le vrai texte des CGU que vous avez acceptées en créant votre compte Facebook : “… vous nous accordez une licence non exclusive, transférable, sous-licenciable, gratuite et mondiale pour héberger, utiliser, distribuer, modifier, exécuter, copier, représenter publiquement ou afficher publiquement, traduire et créer des œuvres dérivées de votre contenu (conformément à vos paramètres de confidentialité et d’application). Cela signifie, par exemple, que si vous partagez une photo sur Facebook, vous nous autorisez à la conserver, à la copier et à la partager avec d’autres (encore une fois, conformément à vos paramètres), tels que les Produits Meta ou des fournisseurs de services qui prennent en charge ces produits et services. La licence prend fin lorsque votre contenu est supprimé de nos systèmes.”
La solution : supprimer son compte. Et ca, Nicole Michel n'y avait pas pense.
encore merci ce billet plein d’humour et tellement vrai