Gynéco, ébéniste ou écrivain.
L'existentialisme est peut-être un humanisme, mais il est surtout un clou dans la chaussure. Aucun rapport avec le titre, je sais, mais je suis un homme libre.
Ces jours-ci j'ai dû me présenter plusieurs fois à des gens dans des dîners. Et comme à chaque fois, on m'a demandé ce que je faisais dans la vie. La question des questions.
J'ai dépassé le demi-siècle sur cette Terre et je ne sais toujours pas quoi répondre qui soit rapidement clair et juste.
J'aurais tellement aimé pouvoir répondre que je suis astrophysicien, ou ébéniste, ou gynéco. Un truc simple qui percute et qui crée de la joie dans le regard de l'autre. "T'es astrophysicien ? Wouaaaa, ça claque ! Tu crois qu'il y a des extra-terrestres ?". "Ébéniste ? J'adore, j'ai toujours admiré les artisans. Tu me ferais un prix pour construire une bibliothèque dans mon salon ?". "T'es gynéco ? Oula ! T'en as pas marre de voir des foufounes toute la journée ?". Simple, efficace, rassurant. C'est réglé vite fait, l'ordre du monde est respecté et personne ne souffre.
Mais pour moi, c’est l’inverse de cette simplicité. Je vous épargne la liste de mes casquettes, je pourrais ouvrir une boutique à Châtelet.
Cependant, gagnant sur le tard en maturité (je déconne), j'ai eu une révélation ! À partir de maintenant je ne vais plus énumérer mes fonctions facturables. Non, désormais je vais dire que je suis écrivain, la seule fonction qui compte, et qui ne rapporte rien.
Oui, je sais, c'est chaud, je prends un risque existentiel majeur.
Depuis toujours, mon rêve de vie c'est d'être écrivain, mais j'ai toujours dit que "je suis auteur", par pudeur et respect pour l’Histoire. Les gens se demandent ce que c'est, un auteur. Alors je suis obligé, à nouveau, d'énumérer. "Je suis auteur pour la radio, le théâtre, les entreprises aussi, je crée du contenu, je fais du conseil, j'écris des conférences...". Je suis obligé de tout raconter et de déballer mon stock de casquettes. Je vois bien dans le regard que le mec est paumé, il hoche la tête gentiment en disant que c'est super.
Alors c'est quoi un écrivain par rapport à un auteur ?
L'écrivain est un auteur qui vit de sa plume… dans des livres. (Ou “vide” sa plume, ça marche aussi). Alors que moi je suis un auteur qui vit de sa plume partout ailleurs que dans les livres. Je tourne autour du roman depuis toujours, comme un timide qui n’ose pas aborder les meufs en boîte de nuit. Pourtant, je peux dire que je ne pose jamais le crayon, jamais ! J'écris en masse. Et donc logiquement, étymologiquement, si t'écris, t'es écrivain, non ? Bah non, comme dirait Tristane. T'es écrivain si t'as écrit un livre qui a suffisamment marché pour que tu puisses rester tranquillement chez toi à écrire le suivant. C'est comme ça que je vois la chose.
Car je trouve ça hyper gonflé de dire que t'es écrivain si t'as pas publié un texte qui a marché.
Un peu comme de dire que t'es humoriste si tu n'es pas drôle, ou en tous cas pas reconnu comme tel. Quand je jouais sur scène un seul-en-scène au Point Virgule, je disais que j'étais humeuriste, pas humoriste. Je disais que parfois ce n'était pas drôle, que c'était juste une humeur. Au fond je n'assumais pas docteur. Est-ce que c'est de la timidité ? Un fond d'éducation judéo-chrétienne qui t'invite à ne pas te mettre en avant, rester modeste en toutes circonstances ? Ou juste la trouille de se lancer corps et âme, sans plan B ? Peut-être un complexe d’infériorité, la peur de rater, le poids des grands noms, la couleur du slip d’Edouard Philippe... On a mille raisons de ne pas faire les choses à fond.
Mais qui de l’oeuf ou de la poule crée l’écrivain ? Question : suis-je né écrivain (essence) et je tourne autour de mon axe depuis, à travers mon existence ? Ou je suis né gynéco mais mon existence tourne autour de l’écriture au point de démontrer que je n’étais pas prédestiné aux frottis ? (Je ne sais pas si c’est clair mais j’écris sans respirer, c’est du jeûne intermittent pour les poumons).
À partir de quoi, quand et combien est-on écrivain ?
Donc, peut-être que c'est l'essence qui précède l'existence. Tu dis que t'es écrivain parce que tu te sens écrivain, et puis t'écris et tu t’en fous si ça marche parce que t’es bien en écrivain. T'es écrivain tout le temps et partout, sous la douche, en faisant du sport, sur ton scooter ou dans les cocktails. Ton essence, c’est écrivain, tellement profondément, qu’elle entraîne la roue de l’existence. “Tu fais quoi dans la vie ? Je suis écrivain ! C'est ça que je suis ! Ah oui toi t’es ébéniste ? Moi aussi je suis comme toi, j’ai un métier trop simple à comprendre, ouais mon gars, je suis écrivain, c'est cool non ?” (le mot "gars" est générique, il adresse la race humaine, femmes comprises).
Sauf que je vois le truc arriver gros comme une maison. Au premier mec (mec c’est comme gars ou meuf ou non binaire) à qui je vais dire ça, il va enchaîner direct... "Ah oui ? T'as écrit quoi comme bouquin ?".
Arrrgrhhhhh, mais ta gueule ! Je suis écrivain, j'te dis ! Ce qui compte c'est ce que je suis, le reste on s'en fout non ? Le gars ne va pas accepter cette réponse, je le sais. Il va se dire que je n'ai rien écrit. Ou que je n'ai rien vendu. Il va avoir de la peine pour moi. Je vais répondre quand même des trucs un peu vrais du genre "Heuuu, j'ai écrit un livre de management, et puis un recueil de nouvelles et quatre spectacles..." Le mec va être sympa, son ton de voix va monter dans les aigus pour marquer un intérêt simulé. "Ah c'est super ça !", mais on saura, lui et moi, que ce n'est pas suffisant. Lui, quand il pense écrivain, il imagine Houellebecq, Marc Lévy ou JK Rowling ; et moi je lui balance l'équivalent d'un mode d'emploi de machine à coudre (sauf le respect pour mon oeuvre).
Ouais. Non.
(Silence)
Je maintiens le principe, à la fin de ce post, qu'on ne peut pas se dire écrivain tant qu'on n'a pas écrit un livre un peu solide. L'art ne vaut que par le prix qu'on veut bien lui donner, n'est-ce pas ? Donc l’existence précède l’essence. Ou le gasoil, c’est moins cher.
Donc, je suis et reste bel et bien un auteur jusqu’à nouvel ordre. Comme ça le défi reste entier et je peux me regarder dans la glace sans oublier que je suis mortel.
On se tient au jus.
J'ai bien aimé alors je commente comme dans 'cogito ergo sum' & "L'art ne vaut que par le prix qu'on veut bien lui donner" je sais pas si c'est de toi mais ça semble (d'après GooooogleGlass). ça m'a semblé un peu rapide car tu précises bien que tout ça (ta bafouille & les autres) ça n'a pas de prix & moi je pense que c'est de l'art (ou du cochon suivant les jours). BozO
« L'art ne vaut que par le prix qu'on veut bien lui donner, n'est-ce pas ? » .... alors tous les soit disants artistes morts miséreux (Van Gogh et autres Modigliani et j’en passe) ne méritaient le statut d’artistes qu’après leur mort quand leurs œuvres ont eu un prix élevé ? T’es sûr ? Parce que moi pas trop :) mais ça ne remet pas en cause la pertinence et le fond de ton raisonnement hein ... Juste que ça, là, cette phrase, elle ne va pas