La meilleure version de moi-même ? Ta gueule.
Bonjour docteur, je viens vous voir parce que j'ai lu dans les journaux qu'on pouvait obtenir une meilleure version de soi-même, et j'avoue que je ne pige pas bien le concept...
Hein ? C'est des conneries ? C'est bien ce qui me semblait ! Mais comme je le voyais écrit partout je me disais que j'avais raté un truc important.
Parce que déjà que j'ai du mal à savoir dans quelle version de moi-même je me trouve... Comment ça je me dévalorise ? Mais pas du tout docteur, vous n'allez pas me dire de positiver vous aussi, sinon je vous rentre votre stéthoscope dans le derche et vous allez entendre des mérous, je vous le garantis.
Disons que sur l'échelle de Richter de mes versions je suis entre un tsunami et le parkinson à ma grand-mère. Oui je dis "à ma grand-mère", c'est plus sympa parce que si je dis "de ma grand-mère" on a l'impression que ça lui appartient, alors que visiblement elle ne contrôle plus rien, vous verriez le bordel quand elle boit son thé, on a dû acheter une bâche de chantier pour le salon.
Donc oui, perso je crois que je suis dans une version de moi-même un peu ravageuse, c'est-à-dire que cette version... c'est moi. Oui je sais docteur je sens que vous êtes sous le choc, douze ans d'études pour entendre de la part d'un patient irrégulier que l'on est que ce que l'on est, et que le reste c'est de la fumée de prof de Pilates dépressive qui veut te vendre son huile essentielle de poils de chèvre que tu vas asperger sur ton oreiller pour s'aimer soi-même dans ton sommeil et rêver à des tapis de sol. Reprenez du Malox, c'est bon pour vos ulcères.
S'aimer soi-même ? C'est comme se masturber, mais sans les mains ! C'est long et ça ne mène à rien. Non, sérieux, il paraît qu'il faut être bienveillant envers soi, que c'est la première étape pour s'accepter. J'avoue docteur que je ne sais pas comment on fait. Se pardonner d'être con, j'ai l'impression que c'est ma routine. Apprendre à s'aimer, c'est pareil, on dirait une chanson de Florent Pagny qu'on aurait trempé dans la guimauve ; mais périmée, du coup ça fait vomir les angoisses.
Quand j'entends qu'il faut apprendre à s'aimer soi-même, j'ai envie de buter des profs de sport. Je sais c'est bizarre, mais ça défoule.
Hein ? Vous voulez que je commence par me pardonner ? Voilà c'est reparti, c'est le retour des curés de mon enfance. Le mot pardonner me renvoie immédiatement à mes cours de catéchisme, au confessionnal et aux genoux du Père Vincent. Non, non, docteur il ne m'a rien fait, je courais plus vite que lui, mais certains ont eu moins de chance. Donc oui, se pardonner, pour moi c'est comme me demander de réciter un notre père et deux je vous salue marie, et roule ma poule l'ardoise est à zéro, je peux retourner voler des bonbons, merci petit Jésus. Je sais, je divague, mais j'ai une intelligence en branches paraît-il, c’est ce que disent les gens qui ont la flemme de se concentrer. C'est juste que je ne sais pas ce que c'est que de pardonner, parce que je ne me sens pas légitime. Qui suis-je pour pardonner, moi y compris ?
Si j’ai bien compris, pour obtenir une meilleure version de moi-même, il faudrait que je cours un marathon à cloche pied en lisant du Tony Robbins, que je mange sans gluten, que je lise deux livres par semaine dont un sur la gestion de son temps et l'autre sur l'insuline, que je sache réparer un lave-linge, que mon ventre redevienne totalement plat comme quand j'avais huit ans parce qu'on n'a jamais vu mes abdos, jamais !, que je sois un bon fils, un bon père, un bon amant, un bon ami, un bon à tout, et là, seulement là, je deviendrai une meilleure version de moi-même.
Mais ce moi-là, ce nouveau moi, sera immédiatement obsolète, n'est-ce pas docteur ? Qui décide que l’upgrade est meilleur ? La balance ? L'urssaf ? Mes contemporains ? J'en ai assez de ces conneries, je voudrais juste me coucher sans culpabiliser d'être juste un brouillon de ma meilleure version, c'est possible ça ? Juste ne pas trop penser à mes différentes versions et qu'on me foute la paix. Qu'est-ce que je dois faire docteur ?
Ne me dites pas que je devrais prendre des vacances, j’en reviens. Mais moi quand je reviens de vacances, je suis la pire version de moi-même. Je suis la version qui veut boire du rosé au bord de l’eau en trouvant des formes aux nuages. C’est la version qui fait des randonnées dans les calanques en prenant des photos qui ne donnent jamais aussi bien que la réalité, mais qui feront un chouette fond d’écran jusqu’en octobre. Je suis la pire version de moi-même parce que j’ai juste envie de faire la sieste et de rien foutre, préparer un barbeuk, faire des courses dans la petite épicerie toute fraîche du coin, acheter un magnet à la con pour mon frigo, des savons par lots, un tuba. Cette version-là qui ne lit même pas de magazines people parce que ça demande trop de ressources intellectuelles. Ni sudoku, ni Candy Crush, je veux juste rien faire au soleil en prenant du poids à cause des merguez. C’est bon comme version ça ou pas ?
Faire du sport ? Oui je sais, merci pour le scoop. Je devais faire un triathlon mais j’ai perdu mon maillot. À quoi ça tient n’est-ce pas ? J’ai pensé au Taï Chi, avec des vieux chinois au bord d’un lac, mais il paraît que c’est à six heures du mat et cette heure-ci je fais ma méditation inactive. C’est comme de la méditation active, sauf que je dors. Le miracle morning c’est pour les curés, par définition. Moi le matin je suis un crevard, j’ai la gueule en vrac et l’envie de mourir ; je sens que ça ne fait pas de moi une version hyper meilleure de moi-même. Je mets mon réveil à six heures pour écrire-méditer-respirer et remercier la vie, mais en général je le remets immédiatement à 6h15, puis 6h25 puis 7h, foutu pour foutu. Ça donne quand même des joies successives, je devrais en écrire un bouquin. “Comment se rendormir en reprogrammant son alarme en 10 leçons”, ça ferait un tabac chez les gens qui ne sont pas dans une super version d’eux-mêmes et qui sont nuls en alarmes.
Bon, je vous laisse docteur, je dois me faire un smoothie concombre-gingembre-chihuaha, c’est une recette népalaise pour upgrader son karma. Faut pas moisir pour être heureux.
Le plus important, c’est de s’accepter tel que l’on est non ? 😊
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