Ta g... !*
*Dans ce monde de tarés où le porno côtoie la violence parachutée, l'insulte et l'obscène, j'écris ta gueule en pointillés.
Ta g... !
J'ai de plus en plus ce "Ta g... !" en tête, dès que j'entends des gens.
C'est un constat qui m'habite.
Un bébé qui pleurniche sur la plage ? Ta g... ! Un type qui parle un peu trop fort dans le train ? Ta g... ! À la caisse automatique, une dame se plaint que le concombre bio n'est pas lu par le pistolet à codes barres ? Ta g... ! Derrière moi dans la rue deux américains parlent fort avec leur accent d’américain, ta g... ! Ce chien qui gémit, attaché à son poteau, ta g... ! Les voisins, ta g... !
Je ne sais pas vous, mais moi depuis le Covid, j'ai du mal avec le bruit des gens.
Je n'ai pas envie de les entendre. Je ne veux rien savoir. Comme si le silence du confinement m'avait fait du bien, au fond, et que le monde d’avant était revenu trop vite.
Je ne supporte plus beaucoup l'Autre.
Je ne crois pas que ce soit l'âge car, dans le même temps, je m'adoucis et je pleure pour un rien. Moi qui me vantait souvent de ne pas avoir pleuré depuis la demi-finale France-Allemagne 1982, je constate que je me fissure de partout. À mesure que l'Autre m'indispose, il me touche davantage. Contradiction terrible ou conséquence officielle de la submersion qui nous guette.
Bruno Patino, ancien boss de France 5 à l'époque du Vinvinteur, aujourd'hui patron d'Arte, pond un formidable essai sur la gabegie de connexions qui nous entourent. Il a de belles tournures le Bruno, comme celle-ci, "nous avons perdu la nuit", quand il décrit l'éclairage permanent de nos villes, jamais de répit. Ce livre est tellement smart qu'il nous fait bien penser, c’est un cadeau.
Pourquoi suis-je devenu si sensible au bruit du monde ?
Je crois que l'accumulation des images a modifié ma carapace émotionnelle. À la fois je n'en ai plus rien à foutre, à la fois je suis une bombe d'émotions à retardement. À force de voir nos vies défiler, ces mots, ces tutos, ces pensées, ces drames, je suis pris dans un vertige aux frontières de la nausée. Tout couper ? Impossible. Je suis désormais relié au grand burn out, et à moins de tout quitter pour une île jamais vraiment déserte, je suis coincé dans le bruit.
C'est un Ta g...! de sécurisation, comme un couloir aérien pour ravitailler ma conscience au milieu de l'extrême violence du monde. Je ne pensais pas voir un jour des terroristes en parapente débarquer au cœur d'une rave party. Rien ne va dans ces images, rien n’est possible ; c'est comme un long cauchemar en plein jour, et l'on ne se réveille que pour compter l’inhumanité récurrente. L'horreur à l'état pur. On ne peut pas dire Ta g...! tout le temps. Il faut affronter le bruit des autres, même si c'est au milieu de la poudre et du sang.
Submersion, étouffement, je n'ai désormais que deux choix, la dérision ou la dépression. J'ai choisi la première car elle fait du bien à tout le monde. La dérision, et sa jumelle, l'auto-dérision, sont les seules bouées possibles pour supporter le bruit du monde. Alors je continuerai à dire Ta g...! par principe, mais en écoutant quand même un peu parce que c'est bon de se sentir entouré dans ces moments insupportables.
Et pour compenser, Trouville forever.
Tu as mis des mots sur un ressenti que j'ai aussi : ' À mesure que l'Autre m'indispose, il me touche davantage. Contradiction terrible ou conséquence officielle de la submersion qui nous guette. '
Je vais chercher de ce coté là !
Merci ;)
Hey hey easy on the American accent !