Tu te souviens quand on parlait du monde d'après ? Hahaha.
Ce qu'on peut être con, nous, les humains. On s'emballe dans le temps présent et, dicté par nos émotions, on croit que le futur va se coller à nos frissons. Gros mythos.
Le monde s'était arrêté, on se baladait avec des feuilles A4 où l'on avait coché des croix dans des cases. J'avais mon chien qui me servait de passe-droit avec sa gueule de travers. Tout seul sur les quais de scène, je me souviens qu'il faisait très beau et chaud, ça sentait la garrigue sur les berges d'Issy-les-Moulineaux. Pas de voiture, pas de pollution, pas de bruit. On aurait dit un film de science-fiction après la bombe, j'étais le seul survivant. Au Carrefour City, tu faisais la queue dehors, espacé de deux mètres par zombis, avec ce maudit masque qui sentait mauvais ton haleine d'escargot. La vitre en plexiglas à la caisse protégeait enfin Denise qui était devenue l'héroïne française le temps de quelques semaines. Le soir sur les balcons on sortait les casseroles pour faire du bruit en hommage aux morts et au personnel médical. Moi je regardais mais je ne casserolais pas. Je réfléchissais au pourquoi du comment, incapable de vraiment me réjouir. Ensuite on s'ennuyait et on se demandait ce que serait la suite en regardant Castex, Véran et Macron paraphraser leurs powerpoints tous les dix jours.
C'est là qu'est apparu le monde d'après.
Les philosophes, les chroniqueurs et les citoyens, tout le monde s'est emballé dans une envolée lyrique à faire pleurer un Albinoni dépressif. Il y avait de l'émotion dans les familles, on se disait qu'on apprendrait de nos erreurs, que le capitalisme avait atteint sa limite, que les délocalisations à outrance avaient créé un déséquilibre mondial mauvais pour tout le monde, que la dépollution constatée était bien la preuve qu'on pouvait refroidir la planète, qu'on avait ré-appris le sens des priorités, des métiers essentiels, des valeurs qui comptent, de l'entraide et de la solidarité de mes fesses. L'expression "le monde d'après" est venue gentiment s'installer dans nos consciences comme le titre d'un film hollywoodien avec Bradley Cooper et Jean Dujardin en guest qui jouerait un médecin propriétaire de pangolins obligé de faire piquer sa bête par ordonnance de l'OMS ; une déchirure.
Le monde d'après est mort...
J'ai autant cru au monde d'après qu'à l'avenir du parti socialiste. Cette satanée manie que nous avons de nous projeter et de créer des scénarios qui nous conviennent, pour survivre sans douleur. Je ne dis pas que Nietzsche avait raison sur tout, mais je le rejoins sur l'importance d'être lucide et d'affronter la douleur dans sa vérité. Affronter le présent, c'est déjà pas mal comme exercice. C'est le pompiste de mon quartier qui m'avait conforté dans mon idée, il avait sa théorie. "Jamais le monde d'après ne sera meilleur, parce que "le monde" n'existe pas (il avait mimé les guillemets), voilà ce que je pense !" qu'il m'avait dit, "le monde, c'est comme un gros paquebot sans pilote qui avance à un rythme très très lent, des milliards d'années, et sans objectif. Y'a pas de but à rien ! Le bateau il ne fait qu'avancer, avec à bord huit milliards de prétentieux qui font du bruit avec leur bouche et finissent en compost sans comprendre ce qui leur est arrivé ! Alors imaginer qu'on va construire un monde meilleur, simplement parce qu'on a les boules et qu'on n'a pas supporté le silence et l'arrêt de nos routines, c'est comme penser que le doudou de ton gamin va guérir sa bronchite !". Je me souviens que j'étais resté silencieux et épaté par son propos. Le mec était radical, j'aimais bien. Il avait fini par m'achever avec une dernière comparaison. "Le monde d'après, c'est comme le mec qui a pris une cuite pas possible et qui se réveille le dimanche en jurant qu'il ne boira plus jamais. Le lundi au déjeuner il a déjà craqué pour le Beaujolais nouveau, celui qui a le goût de cerise. L'humain, c'est tous des ivrognes !". Pas faux.
… Le monde d'avant aussi !
Le monde d'après n'est jamais arrivé, mais je constate que le monde d'avant a disparu. Je ne sais pas vous, mais j'ai l'impression que le virus a fait le vide dans la cale du bateau, un peu comme un "Reset", avec des histoires, des amis, et des sujets qui ont doucement disparu dans un silence non formulé mais consenti par tous. Comme si la claque dans la gueule nous avait remis sur un autre chemin. Une occasion de se refaire une vie, différente. Je ne dis pas que c'est volontaire, c'est juste un constat. Je vois le Covid comme un mur dans nos histoires, une mi-temps imposée, avec la possibilité de changer de maillot, de poste et d’ambition. Dans ce temps 2 de la vie, bien sûr que des fondations sont restées, mais le decorum a changé de couleur. Ça a l'air positif, et pourtant par moment j'ai l'impression que c'est plus fragile, comme si on était en permanence sur le fil, un peu border, submergé par l'extérieur mais devant tenir coûte que coûte. Ce serait donc cela, le monde d'après : un monde d'avant nettoyé, mais dans un environnement plus dur.
Le monde d'après, c'est comme avant, mais en pire et en mieux.
J'aime beaucoup ton garagiste, mais il se plante sur un point : seul très peu d'entre nous terminent en compost :-( d'ailleurs, en France, actuellement ce n'est pas du tout autorisé et avec qq potes on a bien envie de faire changer les règles. Tu nous rejoins ?
J'ai tendance a penser que nous sommes dans le monde d'a-peu-pres.
A-peu-pres mieux sur certains aspects. Les personnels surtout.
A-peu-pres pire sur certains autres. Les communs essentiellement.