J'ai mis mon cerveau en mode avion...
... et mes émotions sur "mute". Depuis la rave party de l'immonde, je traverse une dissociation totale de mon corps. Une anesthésie générale face à l'Histoire.
C'est la première fois que je vis ça, en plus d'un demi-siècle.
Même le 11 septembre, Charlie et le Bataclan m'avaient épargné.
J'avais traversé ces épreuves sidéré et horrifié, comme tout le monde. J'avais ouvert les yeux sur de nouvelles cruautés, sur des images de tous côtés, les témoignages, les rescapés et les vengeances. À l'époque, j'avais défilé avec tout le monde, pour essayer de dire quelque chose, que je n'étais pas d'accord avec ces immondices.
La vie avait repris, bancale mais possible ; très abîmée, plus triste, mais possible.
Et puis la rave-party. Les bébés. Les viols. Les exécutions.
L'horreur de trop. Beaucoup trop.
Mon cerveau a implosé, et depuis il n'est plus apte.
J'ai sans doute atteint mes limites. Depuis, j'erre dans l'actu comme un fantôme. Je n'écoute pas vraiment, ça fait un drôle de bruit pas drôle. J'entends des mots et des concepts, des cris, des manifs, des menaces, et le monde entier qui y va de ses colères.
La rave-party m'a débranché.
Je ne peux pas vraiment penser.
J'ai décroché.
Comment s'orienter dans un champ de mines ?
L'accumulation des morts et des horreurs m'empêche de faire le point sur mes maigres connaissances. Je ne peux que suivre maladroitement le fil de mes amis, et tenter de les consoler. Je n'ai pas la force de rationaliser, de conclure des choses, de savoir. Je fais un burn-out des connexions rationnelles.
Ça n'empêche pas de vivre, c'est juste que je marche à côté de mon empathie. Mon cerveau se repose de force, il n’a plus rien à donner.
Pendant ce temps-là, que je le veuille ou non, j’aperçois des images et j'observe quand même la folie se poursuivre, et des souvenirs du passé qui reviennent. Des couches et des couches obscures viennent s'empiler sur l’obscurité déjà présente, et ces images m'asphyxient. Impression que ça ne s'arrête jamais. Et ça ne s'arrête jamais.
Naturellement je me demande si je dois me déconnecter. Fermer les yeux pour ne pas voir. Je n'ai pas trouvé mieux pour le moment, parce qu'à chaque fois que je fais une entorse, c'est comme si l'enfer s'immisçait, surgissait et s'infiltrait en moi en un dixième de seconde, pas le temps de l'esquiver. C'est difficile, quand on a choisi le rire comme socle de sa vie, de se sentir enseveli par les bas-fonds de nous-mêmes.
Mais... Je ne vais pas en rester là.
Parce que je pense beaucoup à mes enfants qui grandissent là-dedans. Je ne sais pas comment ils font pour faire leur chemin dans ce délire. Ils ont grandi avec le terrorisme, le climat, les virus, les crises, et maintenant le grand charnier de la barbarie. Pourtant ils continuent de sourire et dire des choses sympas. Je ne sais pas vraiment ce qu'ils pensent, et comment ils se protègent. Ils sont grands mais petits, vingt et vingt-deux ans, c'est là qu'on s'oriente dans tout. Nous parlons peu de tout cela, parce qu’ils sont de plus en plus loin, qu’ils font leurs vies, mais peut-être aussi pour ne pas laisser la peur nous abîmer.
Si je baisse les bras, j'ai l'impression que le monde partira en sucette. Je n'ai pas le droit de rester sur "mute". Un papa ne doit pas marcher à côté de son cerveau. Ce n'est bon pour personne.
Alors je me rassois à mon bureau et je saisis mon clavier pour me remettre à écrire du rire. Écrire du bien, pour essayer d’être heureux et “pour donner l’exemple”, disait Prévert. J’aime bien l’idée.
Bon j’avoue qu’avec ce post on n’est pas dans la franche rigolade, je vous l'accorde, mais j'avais besoin de mettre des mots sur les maux.
Ça sert aussi à cela, l’écriture.
Idem. L'écriture est sûrement le meilleur remède que je connaisse contre les shutdown de cerveaux provoqué par les flot d'informations anxiogènes, mais j'ajouterai que la création au sens large agi assz bien sur moi.
pour ma part je ne ferme pas les yeux mais je m’offre des parenthèses pour aller chanter et faire de la pole dance dans un karaoke derrière la lune et cela me fait un bien fou !